Les propositions des candidats s’accumulent : convergence, fusion des régimes, régimes par points, retraite à 60 ans, à 65 ans, à la carte, compte notionnels, … etc.
Tout a pourtant déjà été dit sur le sujet sans que cela n’entraine de grands changements. Les réformes qui se succèdent relèvent toutefois toujours plus du paramétrique que du systémique pourtant maintes fois annoncé.
Rendons hommage ici à la réforme de 2010, menée par le trio Woerth / Fillon / Sarkozy qui, en reportant l’âge légal de 60 à 62 ans a été la plus courageuse de toutes, vivement contestée par la rue et par les syndicats à l’époque, mais que personne ne remet désormais en cause.
Les partenaires sociaux ont même décidé en octobre 2015 de la nécessité de faire travailler les salariés 1 an de plus pour obtenir leur retraite ARRCO/AGIRC à taux plein.
Alors pourquoi même les plus volontaristes ne se sont pas aventurés dans la voie de LA réforme majeure ? Les raisons sont multiples.
Pour qu’une réforme de cette ampleur puisse fonctionner, il faudrait en premier lieu qu’elle soit juste, lisible, équitable, gérable, qu’elle ne pénalise pas une catégorie par rapport à une autre. Il faudrait par ailleurs, si on voulait fusionner tous les régimes existants, que les historiques de données (points, trimestres, plafonds) soient accessibles, justes et incontestables. Nous en sommes loin.
Replaçons d’emblée en perspective le sujet et le fantasme de la capitalisation comme la recette simple et miracle qui résoudrait tout.
Si on souhaitait que la capitalisation se substitue à la répartition pour l’équivalent d’un tiers des retraites versées aujourd’hui, il faudrait accumuler sur les contrats de capitalisation la bagatelle de 3.000 milliards d’euros… soit 140% du PIB ou dix fois le cout du revenu universel !
Quand on mesure les difficultés des gouvernants à ramener le déficit public de 4% à 3%, on visualise ce que représenterait l’accumulation de 140% du PIB…
Au-delà du tabou politique que le mot « capitalisation » représente pour certains, et du débat nécessaire sur le sujet, force est de constater que même si une couche de capitalisation peut être introduite à terme, il est impératif de réformer le système de la répartition.
Avec ses 36 régimes de retraites différents, la France a de très loin le système le plus compliqué du monde.
Il est la résultante de 70 années des brillants efforts continus et souvent contradictoires de nos administrations, partenaires sociaux, organisations professionnelles, députés et sénateurs.
Chacun en a fait un « embrouillamini » de règles qui peuvent vous pénaliser ou avantager selon que vous changiez de statut (Salarié, gérant, commerçant, pigiste, auto-entrepreneur etc…), de régime, de pays, de temps de travail, d’entreprise d’état (maladie, grossesse, parent…) ou plusieurs de ces critères en même temps…
Sur une seule fiche de paye mensuelle, on recense jusqu’à 20 prélèvements pour les retraites !
Notre système compte en points, en trimestres, en salaire moyen proratisé, en Tranche A, B ou C, mais aussi en Tranche 1 et 2 pour les non cadres, en indice, en durée d’assurance, en abattement, en surcote, en minoration, en bonification, en service actif, voire parfois en « droits de plaidoirie ». A cela viennent s’ajouter d’innombrables usines à gaz montées par les régimes et les différentes corporations pour, en principe, s’adapter à la spécificité de leurs métiers et de leurs professions. Citons par exemple les avocats et les chirurgiens dentistes pour qui ont été récemment développés des systèmes à plusieurs étages avec des systèmes optionnels) souvent peu compris par les intéressés, les poussant ainsi à dénigrer le système qui leur est proposé et surtout à ne pas forcément faire les choix optimaux (dates de liquidation, dates de cessation d’activité, choix de cotisation…).
La palme revient incontestablement aux avocats avec 30 (oui, trente !) taux de cotisation différents pour leur régime complémentaire (mais leur régime de base est tout aussi illisible).
A cotisation égale, on obtient parfois près de 3 fois plus de retraite dans certains régimes que dans d’autres ! Certains régimes offrent une surcote pour les complémentaires, d’autres non, certains offrent des majorations pour enfants, d’autres non, certains plafonnent ces majorations d’autres non.
Indépendamment des arguments classiques, connus et ressassés sur les différences entre les régimes spéciaux, la fonction publique et les autres salariés, il subsiste d’innombrables inégalités difficilement décryptables sans aide, et qui sont de moins en moins acceptables à l’heure où nous sommes en droit de prôner un minimum d’égalité devant la retraite.
36 régimes, cela signifie au minimum 36 systèmes informatiques différents, 36 directions informatiques avec les couts induits. Conséquence de cette organisation kafkaïenne : une incompréhension maximale, reconnue par tous (COR, cour des comptes…) pour des futurs bénéficiaires qui ne demanderaient qu’à avoir une vision claire de leur situation. Qui n’a pas acheté les classiques marronniers de presse « spécial retraites » afin d’y trouver des réponses.
Le législateur tente depuis plusieurs années une convergence entre les régimes et c’est louable. Mais on en reste généralement aux bonnes intentions (contrairement à ce qui a été annoncé, la loi Touraine n’a absolument pas réglé le problème des poly-pensionnés) ou aux fausses simplifications. Pensons par exemple aux poly-pensionnés, salariés multi-employeurs ou intermittents du spectacle ayant fini leur carrière au RSI qui devront en juillet 2017 s’adresser au RSI pour liquider la partie salariale de retraite avec toutes les complexités que l’on peut y trouver. La vraie bombe à retardement du RSI est là, nous n’avons encore rien vu.
Pendant ce temps, les différents régimes continuent à développer leurs spécificités. Les experts comptables (CAVEC) se fâchent avec les consultants et architectes (CIPAV) et s’enorgueillissent d’avoir pris leur autonomie. Quelle belle victoire ! Quel progrès !
L’unification des régimes n’est pas pour demain, en tout cas personne n’y est prêt. La mise en place interminable de « l’usine retraite » à l’AGIRC (systèmes unifié ARRCO AGIRC) par exemple, démontre à quel point il serait compliqué de souhaiter fusionner tous ces régimes. La création du RSI en a été un autre exemple, avec tous les dysfonctionnements qui ont suivi cette « simplification annoncée ».
Oui et non. En effet, il est assez simple de convertir un point AGIRC, un point ARRCO, un point CAVEC, un point CNBF, un point IRCANTEC (contractuel de la fonction publique...) en un « point unifié ». Ils ont tous une valeur en euro, l’échelle de conversion existe donc déjà.
En revanche, comment convertir un « trimestre » en « point », sans être sûr de léser certains, parfois lourdement, sachant que certains trimestres ne valent rien (n’augmente pas la retraite), alors que d’autres valent des dizaines de milliers d’euros.
Le système de calcul actuel des principaux régimes de base (salariés du privés, commerçants, salariés agricoles) est tellement absurde et archaïque que l’on peut même faire baisser sa retraite en cotisant. Mais qui le sait ?
Le système de calcul n’est donc que partiellement le reflet de la carrière et des cotisations et beaucoup plus le reflet du type de carrière que l’on a eu: les femmes, les précaires, les poly-pensionnés, les créateurs d’entreprises, les chômeurs, les intermittents, les français ayant travaillé une partie de leur carrière à l’étranger sont quasi systématiquement pénalisés par rapport au salarié qui n’aura jamais changé d’employeur, même si les premiers ont versé plus de cotisations.
Au-delà des égos de chapelle, on constate donc que la transition vers un système unifié est extrêmement compliqué, et probablement inacceptable par le corps social.
Les partisans d’un régime unique par points, qui reconnaissent tous qu’il faudra plusieurs décennies voire une génération entière pour migrer du système actuel à un système unique par points suggèrent donc de ne faire rentrer dans le nouveau système que les nouveaux cotisants.
Au bout de 45 ans, plus personne n’aura donc connu l’ARRCO et l’AGIRC par exemple et on aura ainsi tous les français dans le nouveau système.
Au-delà du fait qu’une telle solution prendrait un demi-siècle pour rentrer en ordre, peut-on imaginer un seul instant que les étudiants et les jeunes actifs accueilleraient à bras ouverts ce nouveau système, inventé pour eux, tout en continuant à financer la retraite (généreuse) de leurs ainés pendant plus de 40 ans ? Parions qu’ils seraient encore prompts à manifester comme à chaque fois qu’on leur offre un nouveau système dédié (CPE, smic jeunes, CDD juniors…), sous prétexte qu’ils en seraient lésés (parfois à tort), sachant qu’en plus ils sont persuadés qu’ils n’auront, eux, pas de retraite dans 50 ans (ce qui est faux).
La mise en place d’un système, nouveau, parallèle, réservé aux entrants est donc une impasse pour tout gouvernement qui s’y essayerait.
Faut-il donc en conclure que la France est condamnée à continuer dans le registre des réformes paramétriques, homéopathiques, qui contribuent à accentuer année après année la complexité et l’incompréhension de notre système au risque de nous retrouver dans quelques années face à un mur insurmontable ?
L’absence de réforme de fonds rend difficile la prise en compte du monde vers lequel nous allons. L’autonomie, un choix d’indépendance assumé, les nouveaux modes de travail chez les jeunes comme chez les seniors, l’uberisation modifient en profondeur les règles de notre environnement professionnel et sociétal.
Il existe pourtant une solution qui aurait le mérite de répondre en grande partie à ce besoin d’évolution, d’équité, de pérennité, de lisibilité qu’appellent d’ailleurs d’une même voix la Cour des Comptes et l’OCDE.
Dans l’organisation actuelle, la quasi-totalité des régimes propose une retraite de base (dont les modes de calculs peuvent être forts différents) et une retraite complémentaire quasiment toujours calculée en points.
Nous l’avons dit précédemment, le Big Bang est techniquement impossible sans mettre en danger la cohésion sociale et intergénérationnelle et risquer de faire imploser l’organisation, source certaines de cafouillages pour des décennies, qui serait particulièrement mal vécu.
La solution consiste donc à procéder non pas à un big bang, mais à un « semi big bang ».
Au 1er janvier 2020, tous les français verraient leur retraite complémentaire (donc par point), migrer vers un nouveau régime, celui du point unifié (portera t’il le nom du ministre qui en fera la réforme ?). Que je sois salarié du privé, contractuel du public, architecte, médecin, avocat, marin, élu local…. 1000 euros de cotisations me donneront droit à 100 points unifiés. La valeur du point unifié sera la même pour tous, connue de tous, et permettra à chacun de connaitre en permanence le montant de sa retraite et de faire toutes les projections qu’il souhaite diminuant ainsi le sentiment d’angoisse et de risque de dégradation ressenti par les français quand on évoque le sujet (il n’est pas inintéressant de noter que, alors que le français dispose des retraites quasiment les plus élevées du monde, du fait de la méconnaissance du système par les salariés, il a également le taux d’épargne le plus élevé du monde, taux d’épargne qui continue à augmenter très significativement chez les retraités…).
Vont donc cohabiter, puis s’éteindre progressivement les disparités, les iniquités, les incompréhensions sur le sujet. Les néo-retraités de 2025 auront une retraite calculée essentiellement sur la base de leurs cotisations historiques (ARRO AGIRC par exemple pour 37 années de cotisations et système unifié pour les 5 dernières) alors que pour les plus jeunes, ce système archaïque, injuste et couteux n’impactera que peu le montant de leur retraite.
Simple, lisible, acceptable, équitable, moderne, peu couteux en frais de gestion (on peut facilement imaginer diviser par 10 à terme le cout de gestion de l’ensemble), prévisible, cette option du semi big bang permettrait un passage en douceur vers un système partiellement unifié.
Au fur et à mesure que s’imposera naturellement ce système optimal, il sera plus aisé pour le législateur de trouver la formule appropriée pour unifier également les régimes de base. Pourquoi pas par le fléchage à terme des cotisations des régimes de base vers le système unifié. Dès lors que le système unifié aura été accepté et compris, il facilitera les réformes futures.
Un tel système n’interdit bien entendu pas de garder une souplesse maximale ainsi que des schémas de solidarité (x points « gratuits » pour handicap, période de chômage, accouchement, formation professionnelle… etc) ni aux entreprises qui ont aujourd’hui des mécanismes de cotisation additionnelle (à l’ARRCO par exemple) de cotiser au-delà des taux minimum obligatoires. On peut même imaginer la possibilité de signer de nouveaux accords d’entreprises, y compris dans les PME, qui permettent à l’employeur de cotiser volontairement, au plus grand bénéfice des salariés.
Il permet également d’introduire la notion de retraite à la carte et d’autoriser chacun à liquider sa retraite plus ou moins tôt, avec un système de décote/surcote, il permet enfin si c’est le choix de la notion d’introduire la gestion en compte notionnel.
Certes, on peut imaginer des résistances à ce système simple et moins couteux. Moins de postes d’administrateurs, moins de voitures de fonctions, une transparence totale, une gestion moderne et adaptée.
Mais pour notre prochain président, seul doit primer le bénéfice de la collectivité et cette approche est la seule qui permettra une évolution juste sereine et harmonieuse de notre système de retraites.
En conclusion, cette réforme est la seule permettant de bénéficier à terme des avantages du Big Bang et du système unifié sans avoir les inconvénients et les risques d’un Big Bang brutal.
Emmanuel GRIMAUD a une longue expérience dans les fonctions de Direction Financière et de DRH en France et à l’étranger. Il a fondé en 2003 un Groupe de Conseil aux particuliers et entreprises sur les « stratégies retraite © ». Il est l’un des meilleurs connaisseurs du système de retraite français et est régulièrement consulté par le législateur. Il est président fondateur de Maximis Retraite et de Simul-retraite.fr
Ecrit par la rédaction de Simul-retraite.fr